Clecture 2018-2019 1ère partie
Synthèse
Huit des quinze participants à Clecture se sont retrouvés le jeudi 7 février pour échanger sur les quatre premiers ouvrages de la saison 2018-2019 qui sont :
- Léon Morin prêtre de Béatrix Beck (1914-2008)
- Les choses de George Perec (1936-1982)
- Les évaporés – 2013 de Thomas B.Reverdy (1974)
- Une pomme oubliée – 1969 de Jean Anglade (1915-2017)
Léon Morin prêtre de Béatrix Beck
« Cette liberté que revendiquait le Nouveau Roman, dieu sait qu'elle l'applique et avec quelle grâce, avec quelle désinvolture. » Nathalie SarrauteCe roman dont la plupart des lecteurs de Clecture se sont accordés à reconnaitre une écriture moderne en a déçu certains.
Quelques un des avis exprimés :- « J’ai aimé l’écriture moderne de Beck. Les dialogues concis, brillants, nourrissants, la structure en fragments du livre qui rend vivante, tonique la narration. »
- « J’ai aimé l‘espèce de suspens sur la transgression ou pas de l’interdit, la fraicheur et la rugosité de certaines expressions, le rythme qui donne envie de ne pas s’arrêter dans cette lecture. »
- « Dès le départ, la romancière donne le ton : elle décrit les Italiens qui envahissent sa ville comme des clowns (« les baladins à plume ») et comme un spectacle tragicomique le meurtre d’un enfant par un soldat. Puis la ville va être occupée par les Allemands : peu importe « on leur fera de l’œil, comme ça on ne sera pas fusillées ». L’antisémitisme est peint en quelques portraits, quelques actes simples, quelques dialogues, avec l’air de ne pas y toucher qui le rend d’autant plus insupportable. Le sexe, le manque, le désir, l’homosexualité sont abordés avec une grande liberté pour l’époque.
- « C’est une sorte de mariage de la carpe et du lapin qu’évoque cet ouvrage. Une juive, durant la Deuxième Guerre, plutôt de tendance communiste, mais quand même de bon cœur, qui tombe sous le joug d’un prêtre. J’ai aimé la qualité de l’écriture, tout en « souplesse », tout en percussion, j’ai apprécié l’humour, et n’ai pas été insensible à la sensualité, j’ai aimé cette question, posée à la fin de l’ouvrage : « Qu’est-ce que le bon Dieu faisait avant de faire le monde ? », et, comme il se trouve que je ne pense pas, qu’avant ou après, le monde ait à voir avec Dieu, je n’ai pas aimé cette longue leçon de catéchisme. »
- « Je n’ai pas eu d’illumination. Impression de galimatias. Trop brouillon. Cette lecture m’a gênée : la vilaine et le gentil. »
Extraits :
« La taquinerie, c’est le petit nom de la méchanceté ».
Beck fait danser les phrases comme ici au rythme des adjectifs : « Brillantinées, giflées, parfumées, menacées, gantées, les deux filles sont hissées sur les bicyclettes maternelles ».
Des propos désinhibés : « un dentiste lui avait fait cadeau d’un bracelet de dents en or »
Les choses (Renaudot 1965) de George Perec (1936-1982)
Georges Perec est un écrivain et verbicruciste français né le 7 mars 1936 à Paris 19ᵉ et mort le 3 mars 1982 à Ivry-sur-Seine. Membre de l'Oulipo à partir de 1967, il fonde ses œuvres sur l'utilisation de contraintes formelles, littéraires ou mathématiques, qui marquent son style.
Certains de nos lecteurs sont restés « au bord » du livre ou l’ont trouvé « trop triste, trop réaliste », d’autres ont apprécié ou ont été captivés par ce roman sociologique.
Quelques un des avis exprimés :- « L'écriture galope au rythme des convoitises sans cesse nouvelles de Jérôme et Sylvie. J’ai aimé le réalisme pathétique de ce roman sur les années 60, qui se lit aussi un peu comme un inventaire à la Prévert... »
- « J’avoue avoir souffert lors de la lecture du premier chapitre ; tout cet inventaire minutieusement détaillé et au conditionnel a failli me décourager… Heureusement, ce ne fut pas le cas et la suite m’a captivé. Pour lire et gouter un livre, il faut parfois faire preuve de persévérance ! »
- « C’était ma quatrième lecture et j’y retrouve toujours une jouissance littéraire, une exceptionnelle qualité d’étude sociologique. »
- « J’ai aimé la qualité de l’écriture, même si elle est un peu mathématique et manque de liant. La vie coule pesante, comme le devient bientôt ce roman, qui tourne en rond. »
- « Je n’avais jamais lu de livre de G. Perec et je ne suis pas près d’en lire un autre ! Pas de plaisir à la lecture. »
Extraits :
« Cette absence de simplicité, de lucidité presque, était caractéristique. […]
Leur amour du bienêtre, du mieux-être, se traduisait le plus souvent par un prosélytisme bête : alors, ils discouraient sur le génie d'une pipe, ou d'une table basse. »
« Leur vie n’était pas conquête, elle était effritement et dispersion ».
« Leurs silences étaient plein de rancœur ».
Les évaporés – 2013 - Thomas B.Reverdy (1974)
Plusieurs ouvrages sont sortis sur ce thème ces dernières années comme « les évaporés du Japon » livre de témoignage écrit par deux journalistes, Léa Mauger et Stéphane Remael. Une pièce de théâtre de Delphine Hecquet ayant pour titre « les Evaporés » sera jouée à La Cartoucherie en juin 2019 (traduite en japonais et surtitrée en Français).
Malgré quelques restrictions, ce roman a plutôt été apprécié de nos lecteurs. Certains ont cependant regretté de ne pas avoir été « touchés ».
Quelques un des avis exprimés :- « Malgré la violence de ce roman, il y a beaucoup de poésie et l’écriture est belle. »
- « Ce livre réussit à traiter à la fois du Japon, de sa culture, du chagrin amoureux, du désir de fuite, du changement de vie, de l’après Fukushima sans lourdeur, Reverdy le fait de manière habile. L’auteur donne à son livre des allures de roman policier ou du moins d’enquête. »
- « Je suis un peu restée en surface de ce roman, mi charmée par l'inconnu du Japon, mi désabusée par l'inconnu du Japon. Mes impressions s'évaporaient au fur à mesure de la lecture ! »
- « Si j’ai trouvé ce roman intéressant je n’ai pas été touchée. Les personnages ont peu de consistance (normal pour des évaporés ?) »
- « Certains semblent avoir découvert dans ce roman un ouvrage aux multiples qualités, ma vue baissant et mes qualités critiques s’émoussant, c’est plutôt l’hypothèse d’une toile d’araignée dont l’auteur a peiné à recoudre les fils que je privilégie. »
Extraits :
« Quand on a quatorze ans, quoi faire de sa tristesse ? »
« La misère est une énergie renouvelable »
« Il y a toujours quelque chose de dérisoire dans le tragique »
« Ferme les yeux, serre les dents, vomit et pleure à l’intérieur »
« Les japonais ont beaucoup de recul sur leur propre culture quand ils en parlent en anglais, ça ne les empêche pas d’y adhérer parfaitement en Japonais. »
Tous les Japonais s'accrochent en titubant aux rochers de leur île comme sur le pont d'un très gros bateau.
Une pomme oubliée – 1969 - Jean Anglade (1915-2017 – 102 ans)
Depuis 2018 il existe un prix Jean Anglade du premier roman.
Ce roman n’a pas été plébiscité par nos lecteurs, certains le jugeant trop banal, sans originalité, mais quelques uns l’ont défendu, le trouvant « agréable à lire ».
Quelques un des avis exprimés :
- « Beau roman du terroir qui fait penser à la chanson de Ferrat La montagne : « ils quittent un à un le pays, loin de la terre où ils sont nés… ».
- « J’ai adoré ce roman que j’ai lu d’une traite. »
- « J’ai aimé les termes qui parsèment le livre, issus du vieux français, du patois ou du parler local : croqueberles, étartuelles, putassier, bousset, sagouiller, barnaud, galoubet, panerée, s’embrener, guérite-commodité, calamastre, blagande, gourles, cucurbite, coucourle, ribaude… »
- « C’est une belle histoire, rédigée par un auteur spécialisé dans le régionalisme qui maitrise son vocabulaire rural, qui a connu ou étudié les mouvements de populations de la campagne vers la ville. De temps à autre le récit nous accroche… mais au final, il n’en reste pas grand-chose ! »
Extraits :
« Il avaient beau se laver, ils sentaient quand même le purin. Les gens s’écartaient d’eux ou fronçaient le nez. »
« On vous traite de paysan comme ailleurs, on vous traite de batard. »
« Il s’était mis à boire pour mettre un peu de brouillard dans sa vie. »